Pendant deux décennies, la Chine a été perçue comme l’usine du monde. Une économie d’imitation, plus que de création.
Aujourd’hui, cette vision ne tient plus. Dans les secteurs de la transition énergétique : batteries, solaire, hydrogène, le pays ne copie plus : il conduit. Et ce basculement ne doit rien au hasard.
L’essor de la « clean tech » chinoise est le produit d’une politique industrielle méthodique, où l’innovation n’est pas un jaillissement créatif mais un outil de puissance.
Un modèle de planification scientifique
En 2015, Pékin lance « Made in China 2025 », un programme ciblant dix industries jugées stratégiques. L’État y injecte des capitaux massifs, accorde des prêts à faible taux et oriente la recherche publique vers des objectifs précis : batteries, semi-conducteurs, énergies renouvelables.
Le résultat est spectaculaire : en 2000, la Chine déposait 18 brevets internationaux compétitifs dans la clean tech. En 2022, plus de 5 000. Et 65 % des articles scientifiques les plus cités sur la technologie des batteries proviennent désormais de laboratoires chinois, contre 12 % pour les États-Unis.
L’innovation n’y est pas libre, elle est coordonnée. Le chercheur, l’entrepreneur et le Parti partagent la même feuille de route : renforcer la souveraineté technologique du pays.
Le darwinisme économique comme méthode
Ce modèle repose sur une logique simple : l’abondance d’abord, la sélection ensuite. Des flots de subventions attirent des centaines d’entreprises dans un secteur stratégique. Elles déposent des brevets, testent, produisent. Puis, l’État coupe le robinet. Les moins performantes disparaissent. Les survivantes, plus solides, plus efficaces, s’internationalisent.
Ce cycle brutal, inspiré du vivant, a propulsé des champions comme BYD (désormais devant Tesla) et CATL, leader mondial des batteries. Leur avantage n’est pas seulement technologique : il est systémique.
La science collectivisée
La Chine a inventé un nouveau profil d’innovateur : le scientifique collectivisé. Moins une figure de génie solitaire qu’un rouage d’un système coordonné, où la recherche est évaluée à l’aune de son utilité industrielle. La formation, la production et la politique avancent ensemble, selon une logique d’efficacité intégrale. Les brevets chinois ne sont pas qu’un indicateur de créativité : ils sont le symptôme d’une transformation profonde du rapport entre État, savoir et marché.
Une dépendance énergétique inversée
L’ironie est forte : à vouloir sortir du pétrole, les économies occidentales se sont placées dans une nouvelle dépendance — celle du lithium chinois. Au-delà des technologies, Pékin verrouille désormais les chaînes de valeur : interdiction d’exporter certaines innovations, contrôle des brevets, limitation des transferts de compétences. Cette consolidation ne vise pas seulement la croissance, mais la souveraineté. L’innovation devient un outil géopolitique.
Pour nos écosystèmes : leçons d’un modèle fermé
Le modèle chinois n’est ni transposable ni souhaitable tel quel.
Mais il interroge nos propres approches :
- Sommes-nous capables d’aligner stratégie scientifique et ambition industrielle ?
- De créer des trajectoires de long terme, au-delà des effets d’annonce ?
- De penser la recherche comme une infrastructure, pas seulement comme un coût ?
L’innovation occidentale reste marquée par la fragmentation : recherche publique d’un côté, marché de l’autre. Pékin a fait de cette séparation un non-sens.
Vers une souveraineté collaborative
Répliquer la discipline chinoise serait une erreur. Mais ignorer son efficacité serait un aveuglement.
Le défi européen n’est pas d’imiter la Chine, mais d’inventer une voie alternative : une souveraineté collaborative, ouverte, ancrée dans les territoires, articulant recherche, industrie et puissance publique autour d’objectifs partagés.
Dans la transition énergétique comme ailleurs, l’innovation n’est pas un talent, c’est une architecture.
