L’Europe et le paradoxe de la planification de l’innovation

Avec sa “Startup and Scale-up Strategy”, la Commission européenne ambitionne de construire un marché unique de l’innovation : statut juridique paneuropéen, fonds souverains, “Blue Carpet” pour les talents, hubs technologiques coordonnés.
L’ambition est claire : produire une Silicon Valley européenne.
Mais peut-on planifier un écosystème ?

L’illusion de la maîtrise

Les écosystèmes ne se décrètent pas.
Ils ne naissent ni d’un cadre, ni d’un règlement.
Ils émergent — par densité, frictions, rencontres.
Par tolérance à l’échec, marges et chaos.

Or, la stratégie européenne reste institutionnelle : top-down, mesurable, orientée indicateurs.
Elle tente de retenir les talents par incitation.
Mais les fondateurs ne cherchent pas un visa.
Ils cherchent un climat : un espace de liberté, de curiosité et d’expérimentation.

L’imprévisibilité comme principe

Un écosystème d’innovation n’est pas un dispositif administratif.
C’est une écologie faite d’interdépendances, d’essais, de bifurcations.
Sa valeur réside précisément dans ce que la planification ne peut ni anticiper, ni contrôler.

L’Europe avance avec méthode, mais elle ignore une évidence :
une stratégie d’innovation qui refuse l’imprévisibilité s’expose à l’immobilisme.

Le rôle des acteurs publics

Les pouvoirs publics ne peuvent pas créer un écosystème.
Mais ils peuvent, par excès de contrôle, l’empêcher d’émerger.
Leur véritable influence tient dans un équilibre subtil :
• supprimer les obstacles,
• soutenir sans capturer,
• financer sans formater.

C’est moins une question de pilotage que de retrait stratégique : savoir quand ne pas intervenir.

De la stratégie à l’écoute

L’Europe n’a pas besoin d’un énième plan pour « stimuler l’innovation ».
Elle a besoin d’écoute.
Des signaux faibles. Des pratiques émergentes.
Celles qui précèdent toujours les stratégies.

Favoriser les initiatives qui ne demandent rien.
Soutenir les alliances informelles.
Investir dans les marges plutôt que dans les vitrines.

Les écosystèmes n’ont pas besoin de tuteurs.
Ils ont besoin d’espace.
Pas d’un mode d’emploi, mais d’un terrain fertile.
Pas d’un récit institutionnel, mais de récits vécus.

Laisser émerger

L’avenir de l’innovation européenne ne se construira pas par décret.
Il se révélera là où l’on accepte de lâcher prise dans les interstices, les contre-modèles, les expériences discrètes.

Créer les conditions, pas les cadres.
Accueillir l’imprévisible comme une ressource, pas une menace.

C’est peut-être là, paradoxalement, la seule véritable stratégie.