L’innovation comme moteur et discipline

Dans le paysage économique contemporain, Philippe Aghion occupe une place singulière : celle d’un économiste qui pense l’innovation non comme un mythe, mais comme une mécanique.
Ses travaux de la théorie de la destruction créatrice à l’économie de la connaissance ont redéfini la manière dont on relie croissance, institutions et politique industrielle.

L’innovation, moteur de la croissance schumpétérienne

Aghion prolonge et formalise l’intuition de Schumpeter : la croissance n’est pas un processus linéaire, mais un cycle de création et d’obsolescence. Chaque progrès technique détruit des positions acquises, libère des ressources et redéploie les compétences.

Mais contrairement à Schumpeter, Aghion inscrit cette dynamique dans un cadre institutionnel moderne. L’innovation n’est pas seulement un acte entrepreneurial ; c’est un équilibre politique entre incitation, concurrence et protection.

Concurrence et incitation : le bon niveau de tension

Pour Aghion, la croissance dépend d’un niveau optimal de concurrence. Trop de rivalité étouffe l’investissement à long terme ; trop peu favorise la rente et la stagnation. L’État doit donc jouer un rôle de régulateur fin non pas en pilotant les secteurs, mais en maintenant une tension créatrice entre acteurs.

Cette idée irrigue sa pensée sur la politique industrielle : il ne s’agit plus de “choisir les gagnants”, mais de créer les conditions d’une émulation productive.

L’État comme catalyseur, pas comme planificateur

Aghion ne rejette pas l’intervention publique, il la repositionne.
L’État n’est pas un producteur de croissance, mais un architecte des conditions de l’innovation :
• investissement dans l’éducation et la recherche,
• financement du risque dans les phases amont,
• cadre réglementaire propice à la mobilité des talents et des idées.

Ce rôle s’apparente à celui d’un État stratège minimal, capable d’impulser sans diriger, de corriger sans s’imposer.

L’innovation, discipline sociale

L’un des apports majeurs d’Aghion est de rappeler que l’innovation est aussi un fait social. Elle crée des inégalités, redistribue le pouvoir économique et modifie les structures du travail.

La question n’est donc pas seulement comment innover, mais comment rendre l’innovation inclusive. D’où l’idée d’un État social actif : accompagner les transitions, protéger les perdants temporaires, sans freiner la destruction créatrice. L’innovation devient ici non pas un luxe technologique, mais une condition d’adaptation collective.

L’Europe face au dilemme Aghion

L’Europe, longtemps centrée sur la régulation et la stabilité, peine à intégrer cette logique de mouvement. Trop de précaution, pas assez de risque. Trop de politiques de rattrapage, pas assez de politiques de rupture.

Pour Aghion, la compétitivité européenne dépend moins du capital que de la capacité institutionnelle à tolérer l’instabilité : former, réallouer, rebondir.

Une économie de la vitalité

La pensée d’Aghion invite à une conclusion simple : innover, c’est accepter la turbulence mais c’est aussi la seule manière de préserver la croissance dans un monde contraint par les ressources, le climat et la démographie.

L’innovation n’est pas une fête, c’est une discipline. Une manière d’organiser la vitalité économique sans la confondre avec le désordre.

En résumé

Philippe Aghion propose une économie de la vitesse maîtrisée :
• la concurrence comme moteur,
• la connaissance comme carburant,
• l’État comme catalyseur,
• la société comme amortisseur.

Un modèle exigeant, à l’opposé de l’innovation spectaculaire.

Une économie où la création ne remplace pas la politique, mais la prolonge.